Le viol est une horreur.

La violence est faite sur un corps et à l'intérieur d'un corps, dans son intimité. Les séquelles, physiques et psychologiques, sont immenses pour la victime. L'auteur, quant à lui, est qualifié de criminel depuis 1980, et il encourt une peine de prison qui va de 15 années, jusqu'à la perpétuité si l'acte a été accompagné de tortures.

Pourquoi donc ce forfait hautement condamnable peut-il être un sujet de fantasme ?

Fantasme chez certaines femmes qui s'en "rêvent" victime, et fantasme chez certains hommes qui se voient le commettre.

Bien sûr, il ne s'agit là que d'un fantasme. Qu'en est-il ? D'où vient-il ? Est-il innocent ou dangereux ? Existe-t-il des simulacres possibles ?...

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Le fantasme féminin du viol

Les adolescentes ou les jeunes femmes, en particulier quand elles sont encore vierges, ont parfois ce fantasme lié à une culpabilité issue de la morale religieuse ou sociale : on ne doit pas avoir de relations sexuelles avant le mariage. Donc, le viol "résout" le problème dans l'imaginaire. La relation sexuelle a lieu, mais on n'est pas consentant. Donc, innocent.

De même, certaines femmes en couple mais peu satisfaites s'imaginent violées par un ou plusieurs hommes : on trompe son mari mais, encore une fois, on n'est pas responsable. Enfin, le fantasme du viol décrit par certaines femmes relève du jeu sadomasochiste, alors même que ces femmes sont parfaitement conscientes que le passage à l'acte les sortirait du jeu de manière dramatique. Ce fantasme est cependant joué dans le jeu sexuel grâce à diverses mises en scène, comme nous le verrons plus loin. A l'inverse, il existe des femmes, en nombre plus important qu'on le croit, qui fantasment sur le viol de leur partenaire mâle par un ou d'autres hommes, le viol étant soit dirigé par elles, soit subi par elles en tant que spectatrices impuissantes. Ce type de fantasme correspond à une "révolte" contre la domination masculine dans le couple, jumelée à un désir de soumettre son partenaire, en agrémentant la scène d'homosexualité – puisque des femmes aimeraient voir leur homme en action homosexuelle, inversant le fantasme courant…

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Le fantasme masculin du viol

Le fantasme du viol chez l'homme est souvent du à un désir de posséder, et cette possession forcée évite deux choses : d'abord le travail de séduction, et donc la possibilité d'un échec personnel, ensuite le plaisir de la femme, ce qui évite la possibilité d'un échec sexuel.

On le voit, le fantasme du viol est la plupart du temps la conséquence d'un manque de sûreté de soi. Il n'est pas la marque d'un Casanova ou d'un don Juan, même si ceux-ci ne sont pas dépourvus d'un certain sadisme avant la lettre, leur façon de séduire et d'abandonner une femme étant parfois psychologiquement violente. Le fantasme d'être violé par une femme est plus compliqué, puisqu'on sait qu'un homme doit bander, et que l'érection est par essence le résultat d'un désir. Mais, dans les fantasmes, tout peut se faire. D'autant que l'homme peut soit être violé activement (la ou les femmes l'obligent à baiser), soit il est sodomisé par une femme maniant ou portant un gode. Ces fantasmes de viol par une femme s'apparentent plus à une séance de soumission à moitié acceptée. Ils rejoignent le fantasme de l'homme obligé de se prostituer (le plus souvent à une vieille femme ou à une femme laide).

Plus dérangeant encore pour celui qui en est la proie, le fantasme du viol homosexuel combine ce désir de soumission à celui du désir de féminisation ; il est dans la plupart des cas un exutoire à l'exigence quotidienne de masculinité et moins souvent l'envie de connaître des relations homosexuelles, bien que cette dernière interprétation ne soit pas toujours absente.

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Le viol à l'écran : une usine à fantasme?

Le viol au cinéma exigerait un nombre de pages énorme. Pour grossir le trait, il y a deux sortes de films traitant du viol: ceux qui le prennent pour thème dramaturgique sans le montrer, ou ceux qui le montrent sans qu'il en soit le thème dramaturgique… Les premiers insistent sur l'aspect traumatisant et sur les séquelles psychologiques, sociales, amoureuses. Les seconds le montrent pour le condamner certes, mais aussi pour choquer. Quand ce n'est pas pour exciter le spectateur. Condamnation, provocation, complaisance, où est la frontière? Donnons quelques exemples de films célèbres où le viol est exempt de complaisance : " La Source ", de Bergman (1960), comporte une scène qui avait fait scandale. Pourtant, peu de chair apparaît, mais l'image de la pureté de la jeune fille souillée par les deux bergers impurs est d'autant plus frappante que le viol est suivi d'un meurtre. Et qu'il y a le talent de Bergman.

" Orange Mécanique ", de Stanley Kubrick, baigne tellement dans une violence dérangeante que la scène dans laquelle l'épouse est forcée sous les yeux de son mari ne peut provoquer aucune excitation. Et l'un des "drougies" chantant "I'm singing in the rain" pendant qu'il découpe le vêtement de la femme aux ciseaux ne vous pousse pas au voyeurisme plaisant ; le viol n'est ici que l'illustration du propos.

Un western – ou plutôt un film historique narrant le massacre de Sand Creek, près de mille indiens tués par la cavalerie – " Soldier Blue " ("Soldat Bleu" 1970) de Ralph Nelson, comporte une scène de viol très explicite, provocatrice certes et cependant dégagée de toute complaisance parce qu'elle est inattendue, horriblement réaliste, et qu'elle renvoie à une culpabilité nationale.

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Le viol à l'écran : une usine à fantasme? Suite... Boorman, Abel Ferrara, Gaspar Noé , Pasolini

Une autre scène inattendue et horriblement réaliste est celle d'un homme violé par un autre : " Délivrance " (1972), de John Boorman. L'être violé est avili, abaissé, sali, comme tout être qui se trouve dans cette situation. Mais ici, il s'agit d'un homme, et non d'une femme, qui se traîne à quatre pattes, obligé de mimer le cochon.

Bien d'autres films présentent des scènes de viol nécessaires à la dramaturgie, tels " Bad Lieutenant " (1992), chef d'oeuvre d'Abel Ferrara, où seules quelques images montrent dans une espèce de halo mystico-érotique une jolie nonne violentée dans une église par deux hommes. Le viol y est présenté ici comme un péché contre le Christ.

Mais que dire de ce fameux ( fameux, parce qu'un sexe symbole violé sous nos yeux fait toujours recette) viol subi par Monica Bellucci dans " Irréversible " (Gaspar Noé, 2002)? Est-il nécessaire à la dramaturgie? N'est-il pas au fond plus complaisant que provocateur ?

Terminons par " Salo ou les 120 journées de Sodome " (1976) de Pier-Paolo Pasolini : ce long récitatif de viols et de tortures sur des adolescent(e)s est un parti pris du Maître italien. La complaisance est voulue : Pasolini nous montre l'ineffable plaisir des bourreaux et veut nous le faire partager, sans doute pour nous mettre à leur place le temps du film. Et le dégoût est encore plus fort, puisqu'il s'adresse à nous-mêmes. Excellente leçon, non ?

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